Pourquoi la Blockchain est devenue la nouvelle arme du luxe ?
Introduction
La contrefaçon a toujours été l’ennemie n°1 du luxe et se déploie aujourd’hui sur de nouveaux marchés tels que la seconde main. Bien décidées à ne pas se laisser faire, les Maisons de luxe mettent en place des stratégies défensives et développent aussi de nouvelles technologies porteuses d’espoir comme la blockchain.
« Blockchain », un mot à la sonorité tech mais qui revient régulièrement dans les discussions des Maisons de luxe à l’heure actuelle. En effet, la blockchain est une technologie décentralisée reposant sur plusieurs entités indépendantes, dont les données stockées à l’intérieur sont infalsifiables, non modifiables et non effaçables. La blockchain confère ainsi une sécurité renforcée pour le stockage d’informations et permet de créer pour les biens de luxe des certificats d’authenticité numériques par exemple.
Pour faire face à la contrefaçon sévissant depuis des décennies dans le luxe et plus récemment sur le marché de la seconde main, les Maisons de luxe s’appliquent à mettre en place la blockchain pour protéger leurs produits et leurs clients. Ces certificats d’authenticité sont transmissibles (s’il y a revente, donation, cadeau, etc.) permettant de garder un lien avec le nouveau propriétaire et ainsi, garantir la valeur du produit en toutes circonstances. La blockchain permet également aux Maisons de luxe de protéger les informations concernant le produit et son historique de vie. L’expérience client reste garantie grâce à l’enrichissement et la transmission de ces informations aux clients.
La contrefaçon, ennemie N°1 du luxe
Bien que le luxe soit vu comme un secteur hors normes capable de traverser les crises, qu’elles soient économiques, sociales ou bien sanitaires, il n’est pas pour autant épargné par d’innombrables ennemis tentant de profiter illégalement des bénéfices de son travail et de sa créativité.
Un de ces ennemis majeurs se nomme la contrefaçon. Cette dernière est depuis des décennies une épine dans le pied de l’industrie du luxe. Autrefois dans les commerces cachés et places de marchés, elle sévit aujourd’hui particulièrement sur internet et sur les sites e-commerce. Les contrefacteurs se sont perfectionnés dans leurs techniques de copiage et de reproduction, les défauts et signes apparents de différences ont été gommés, les dernières nouveautés sont reproduites en un temps record et les marqueurs physiques comme les logos, emblèmes, étiquette, etc. sont copiés à la perfection. Il est donc très difficile de repérer à vue d’œil une contrefaçon, la preuve en est que 20% des posts sur Instagram mettent en scène des imitations¹. Véritable industrie fantôme, la contrefaçon a amputé le luxe d’un chiffre d’affaires de 83 milliards de dollars en 2018².
En dehors d’un impact sur les ventes des Maisons, la contrefaçon affecte également négativement leur image et la confiance des clients envers ces dernières. Par ailleurs, certaines contrefaçons sont mêmes à l’origine de menaces sanitaires pour les clients, notamment en ce qui concerne les produits de maroquinerie.
Le marché de la seconde main face à la falsification
Cette organisation de trafiquants qu’est la contrefaçon a trouvé un nouveau terrain de profits avec le développement du marché de la seconde main pour les produits de luxe. Effectivement, il y a encore quelques décennies les clients chérissaient des années durant leur unique sac de luxe, le portant quotidiennement et le transmettant aux nouvelles générations. Aujourd’hui, la société s’oriente davantage vers le changement : porter différents sacs de diverses marques de luxe, opter pour des produits rares, acheter et revendre au fil des saisons etc.
Pour cela, le marché de la seconde main spécialisé sur les biens personnels de luxe a su développer des outils pour répondre aux attentes des clients du luxe qui souhaitent vendre des produits ou préfèrent acquérir un bien de luxe amorti qui serait davantage dans leur budget. Cela permet ainsi au luxe d’atteindre une nouvelle cible de clients et de voir leurs produits portés par davantage de personnes. Les Maisons de luxe sont alors attentives à ce nouveau marché et observent son développement avec attention. D’autant plus que ce jeune marché est essentiellement digital, dont le principe est qu’un individu mette en vente son produit avec quelques photos d’illustration, l’étiquette et la marque pour qu’un internaute l’achète par le biais d’une plateforme de revente.
Un terrain propice pour les spécialistes de la contrefaçon qui voient là une opportunité de glisser nombre d’articles contrefaits à des clients ignorants et confiants dans le produit qu’ils achètent. Nombre d’individus achètent de la contrefaçon sans le savoir, c’est le cas de 37% des français en 2018 selon l’IFOP. Cela est une source majeure du manque à gagner en termes de confiance pour ce marché secondaire et qui par sa spécialisation sur l’industrie du luxe, répercute cette perte de confiance sur les Maisons de luxe.
Les stratégies de défense classiques des maisons
Face à l’industrie de la contrefaçon, les Maisons et groupes de luxe ont depuis longtemps investi dans la lutte contre ce business frauduleux. À titre d’exemple, LVMH dépense près de 40 millions d’euros par an³ dans ce combat de longue durée. Plusieurs niveaux de marquage existent pour protéger les produits de la contrefaçon :
- Un premier niveau de marquage que sont les atouts physiques des produits comme le logo, les étiquettes, les emblèmes, etc. sont facilement falsifiables.
- Un second niveau de marquage des produits correspondant à l’accroissement des technologies a permis de développer de nouvelles astuces pour prouver l’authenticité des produits et contrer les fraudes : code barre, marquage luminescent, hologramme, puces RFID… les innovations ne cessent de se multiplier pour proposer de nouvelles solutions anti-contrefaçon. Mais ces dernières sont encore la cible de falsification et de détournement.
- Un troisième niveau de marquage a trouvé refuge auprès des systèmes de codage comme l’ADN de synthèse. Mais à ce niveau-là, toutes les Maisons ne peuvent en équiper leurs produits.
Parallèlement, les maisons ont régulièrement recours à des actions en justice pour faire condamner les contrefacteurs mais pour beaucoup de pays, les sanctions sont trop faibles et pas assez dissuasives. D’autant plus que ces procédures sont souvent longues et coûteuses pour les Maisons.
Par ailleurs, les entreprises du marché de la seconde main spécialisées sur les biens personnels de luxe s’équipent elles aussi pour contrer les fraudes dans les ventes avec des experts et des équipes dédiées pour sillonner les sites et retrouver les produits falsifiés.
Le marché de la seconde main fait aussi régulièrement appel à de nouvelles entreprises nées de la technologie et des innovations pour concevoir des outils d’aide pour authentifier les produits. C’est le cas, par exemple, d’Enrupty qui compare des images de produits authentiques avec les produits mis en vente, fiabilisant les transactions à 96%⁴.
Cependant, pour les Maisons de luxe comme pour les entreprises du marché secondaire, les contrefacteurs toujours plus nombreux passent entre les mailles du filet et continuent d’entacher la réputation des Maisons et de causer du tort aux clients. De même, cette lutte sur plusieurs fronts engage des coûts importants et fait perdre des opportunités de vente considérables.
Un nouvel outil porteur d’espoir
Ainsi, l’industrie du luxe a récemment mis la main sur un nouvel outil précieux qui pourrait bien tout changer : la blockchain. Technologie de stockage et de transmission d’informations via un système décentralisé, elle s’accompagne de promesses de sécurité voire d’inviolabilité des données stockées, sans compromettre leur évolutivité.
Le fonctionnement de la technologie blockchain parait assez simple : il s’agit généralement de stocker sur plusieurs bases de données en même temps la même information. Seuls des acteurs identifiés et autorisés peuvent alors altérer cette information. Chaque altération est enregistrée sur plusieurs bases de données en même temps, rendant difficile toute altération non-autorisée. Ces enregistrements constituent dans le jargon un « block ». À chaque nouvel enregistrement, un block se rajoute au précédent, formant ainsi une chaîne de blocks lorsque l’information est plusieurs fois modifiée. Cette chaîne de block est l’historique authentique de toutes les modifications.
Cela représente un double avantage pour les Maisons de luxe car la blockchain permet de donner un identifiant unique (inscrit dans la blockchain) à chaque produit, et de garder un historique de la vie du produit. Cet historique prend la forme d’un certificat d’authentification numérique pour le produit, transmis au client au moment de la vente, sous forme de titre de propriété. Les informations sont accessibles au client par l’utilisation d’une application ou d’un QR code par exemple. Toutes les parties prenantes à la production du bien de luxe peuvent accumuler des informations stockables dans la blockchain, donnant ainsi une authenticité au produit tout en lui conférant une identité virtuelle renforcée.
La blockchain est également utile au marché de la seconde main car le certificat peut être transféré au nouvel acheteur, prouvant à l’acquéreur l’authenticité du produit qu’il achète. Par ailleurs, cela permet à la Maison, dont est originaire le produit, de suivre la trace de ce dernier et d’interagir avec ce nouveau « client ». Dans une approche holistique de ses clients, cela permet à la Maison de connaitre les produits les plus populaires sur le marché secondaire, d’assurer une sécurisation et un suivi des produits, de vérifier l’évolution de la valeur des produits de la marque, etc.
Tous les secteurs du luxe commencent à s’intéresser à la blockchain, comme l’horlogerie, la joaillerie, l’automobile, la mode, etc. Le stockage d’informations des produits sur la blockchain peut contenir des informations qui vont permettre de tisser et renforcer la confiance entre le client et la marque. Soucieux de l’éthique des produits, de leur procédé de fabrication et favorisant la transparence, les clients pourraient être plus que séduits par les informations authentifiées dans la blockchain. De la collecte de matières premières à la vente en magasin, en passant par les ateliers de fabrication, la collection, le nombre de biens fabriqués, etc. le client pourra accéder à toutes les informations relatives au produit. Ce sera une preuve de la part de la Maison que celle-ci n’a rien à cacher à son client et qu’elle souhaite même lui faire découvrir toute l’histoire de l’article acquis. Les informations et le certificat numérique serviront également de garantie en cas de perte ou de vol, plus utile que les certificats papiers se détériorant et souvent perdus facilement.
C’est ainsi que LVMH a récemment développé une plateforme pour toutes les Maisons de luxe et pas seulement celles du groupe LVMH. Démontrant alors que la lutte envers la contrefaçon n’est pas uniquement son combat mais aussi celui de tout le secteur du luxe.
Ainsi, la blockchain est un outil espéré comme une compensation au manque de confiance et de transparence engendré par les falsifications de produits et leurs ventes frauduleuses en ligne. De cette façon, la blockchain permet l’authentification facilitée des produits de luxe pour le marché secondaire et lutte contre les contrefaçons.
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[1] Ghost data / VOX « Instagram has a counterfeit fashion problem », 02/05/19
[2] JDN « Quelles blockchains pour l’industrie du luxe ? », 10/09/19
[3] L’express, « contrefaçon : les marques luttent sur le terrain, malgré l’explosion d’internet », 11/02/2020
Le figaro, « LVMH fait condamner les propriétaires (…) contrefaçons », 10/02/2020
Le Parisien, « Contrefaçon de parfum (…) 1 million de flacons », 22/06/2020
[4] Les carnets du luxe, « comment les groupes de luxe luttent contre la contrefaçon…et la détournent avec ironie », 02/2018